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3. Les juifs d’Italie

Les expulsions d’Angleterre (1290), de France (1394) et de la péninsule ibérique (1492 et 1498), ont imposé d’importantes transformations à la répartition démographique des juifs en Europe.

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Les juifs en Italie de la Renaissance au XVIIIe siècle

La présence juive en Italie est la plus ancienne d'Europe occidentale  et n'a connu aucune interruption depuis plus de deux mille ans.

Les juifs vivent surtout à Rome et dans le sud de la péninsule jusqu'à leur expulsion de Sardaigne et de Sicile en 1492, puis du royaume de Naples en 1541. À partir des XIVe et XVe, ils se déplacent progressivement vers le nord, notamment à Ferrare, Mantoue, Florence ou Ancône. Ils y sont rejoints par les juifs réfugiés de France, d'Allemagne et de la péninsule ibérique, d'où la coexistence de communautés de rite italien, ashkénaze1, espagnol et levantin2. S'ils sont parfois victimes de persécutions, ils ne font l'objet d'aucun massacre et connaissent une grande prospérité.

Jusque-là interdits de résidence à Venise, les juifs sont autorisés à s'y installer en 1516 - comme d'autres minorités étrangères - mais dans un îlot isolé. Vite saturé en dépit de ses agrandissements, ce « ghetto » est devenu plus tard synonyme de ségrégation après que le pape a imposé cette stricte séparation à Rome en 1555, puis dans tous ses États. Les portes de ces ghettos ne seront ouvertes qu'en 1796-1797 par les armées de Bonaparte. Les échanges avec le reste de la société demeurent cependant nombreux et les juifs participent à la vie intellectuelle et artistique de leur temps. 

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Rite ashkénaze : littéralement « allemand », rite suivi par les juifs de l'Est de la France et toute l'aire germanique.

Rite levantin : rite des juifs originaires de la péninsule ibérique, passés par l'Empire ottoman.

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Pour aller plus loin : 

La synagogue

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Arche sainte, Aron qodesh
Légende

Arche sainte, Modène, 1472, noyer sculpté, marqueté et peint, garniture en velours et soie, 265 x 130 x 78 cm

Dépôt du musée de Cluny, musée national du Moyen Âge, Paris, collection Strauss, don de Charlotte de Rothschild

Lorsque les juifs, captifs à Babylone depuis 585 avant notre ère, sont autorisés par l’édit du roi perse Cyrus le Grand (538 av. notre ère) à revenir en Palestine, ils rapportent avec eux l’habitude de se réunir pour prier et entendre la lecture de la Loi, en formant une assemblée d’au moins dix hommes (minian). Cette forme de culte coexiste pendant plusieurs siècles avec le service du Temple et subsiste seule après la destruction de ce dernier par les armées de Titus en l’an 70. Des lieux de prière et d’étude, les synagogues deviennent alors le centre de la vie communautaire en diaspora. La typologie des synagogues, malgré de fortes influences locales, comporte des constantes. Elles doivent être orientées à l’est, vers Jérusalem ; leur plan intérieur s’organise autour des deux pôles de la liturgie : l’arche sainte (heikhal ou aron ha-qoddesh) et le pupitre de lecture (bimah).

Adossée au mur oriental, vers lequel se tournent les fidèles, et parfois surélevée de quelques marches, l’arche sainte renferme les rouleaux de la Torah (sefer Torah, au pluriel sifrei Torah) ; elle est souvent cachée et ornée par un rideau, le parokhet. Dans le rite ashkénaze, à sa droite, en contrebas, est placé le pupitre de l’officiant. Le pupitre de lecture est situé au centre, sur une estrade ; des bancs placés latéralement accueillent les fidèles masculins. Les femmes prient dans une galerie supérieure ou dans les bas-côtés, mais ne participent pas à la liturgie. Si le Talmud précise que la synagogue doit surplomber les bâtiments environnants et bénéficier de fenêtres ouvrant sur le ciel, dès le Moyen Âge l’enchevêtrement des quartiers juifs empêche le plus souvent de satisfaire ces prescriptions.

Jusqu’au XVIIIe siècle, l’extérieur des synagogues européennes reste modeste afin de ne pas enfreindre les contraintes imposées par l’Église. À partir de la Renaissance, l’arche sainte devient l’élément central de l’architecture intérieure et donne lieu à des prouesses ornementales que viennent encore enrichir de somptueux rideaux ; le déplacement de la bimah du centre au mur opposé à l’arche sainte est une particularité des synagogues vénitiennes de cette période.

L’imprimerie hébraïque à Venise et Amsterdam

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Hammishah Houmshei Torah

Hammishah Houmshei Torah, Bible publiée par Menasseh Ben Israël (Madère, 1604 - Midelburg, 1657), Amsterdam, 1630-1631, illustrations de Romeyn de Hooghe (Amsterdam, 1645 – Haarlem, 1708),  gravures insérées après 1712

Entre le XVe et le XVIIIe siècle, l’imprimerie hébraïque se développe en Italie, en Europe centrale et orientale ainsi qu’aux Pays-Bas. Si d’importantes dynasties d’imprimeurs ont vu le jour, la profession, en butte à la censure, sera marquée par la précarité et la mobilité. La France a manqué de peu être le berceau de la typographie hébraïque. On a retrouvé un contrat daté de 1443, établi en Avignon, portant commande d’un jeu de caractères d’imprimerie hébraïques. Mais c’est en Italie, à Reggio de Calabre, que paraît en 1474 le premier livre imprimé en hébreu : le commentaire de Rashi sur le Pentateuque. L’Espagne et le Portugal n’ont connu qu’une activité éphémère, interrompue par les expulsions. Cependant, les presses hébraïques ont été les premières établies dans ces pays, et la parution du Pentateuque en hébreu à Faro en 1487 y a précédé de huit ans l’impression du premier livre en caractères latins. Les exilés font une halte à Fès, au Maroc, où ils publient le premier livre imprimé sur le continent africain, puis en Italie, où s’établissent les familles Soncino, Conat et Günzenhauser.

En 1484, Joshua Salomon Soncino publie le traité Berakhot du Talmud de Babylone, puis, en 1488, la première Bible hébraïque imprimée. En terre ottomane, les frères Nahmias et Sasson fondent des imprimeries à Constantinople en 1493, et à Salonique en 1513. Un petit groupe ashkénaze crée, dès 1512, une imprimerie à Prague, où Gershom ben Salomon Kohen imprime la première Haggadah en 1526. Leur typographie s’inspire fortement de la typographie italienne. En 1605, une autre famille d’imprimeurs, les Bak, s’installe à Prague. Il faut attendre le début du XVIIe siècle pour voir naître des lieux d’édition dans l’espace germanophone, tels Hanau et Sulzbach, où seront également imprimées de nombreuses traductions et compilations en judéo-allemand. En Pologne, dès 1534, Cracovie puis Lublin deviennent d’importants centres d’imprimerie. Dans les toutes premières années du XVIe siècle, autour des grandes facultés de théologie, des imprimeurs chrétiens éditent des ouvrages en hébreu. À Bâle, Heinricus Petrus et Johannes Froben emploient des imprimeurs juifs ou des chrétiens hébraïsants et copient leurs caractères sur ceux des manuscrits ashkénazes. À Paris, les Estienne emploient un nouveau type de lettres, œuvre du graveur Guillaume Le Bé. Les deux Bibles d’Estienne sont considérées comme des chefs-d’œuvre de la typographie hébraïque. Le Bé fournit aussi les imprimeurs étrangers, dont Plantin à Anvers, et Bomberg à Venise. Venu de France, Christophe Plantin s’établit à Anvers en 1549 et publie une Bible, des grammaires et des dictionnaires d’hébreu. À Venise, de 1516 à 1549, Daniel Bomberg, originaire d’Anvers, est le premier à publier le Pentateuque (1517), deux éditions complètes du Talmud (de 1520 à 1523) – qui serviront de référence aux imprimeurs et aux érudits – et la Bible commentée (dite Miqraot Gdolot). Les caractères de Le Bé sont ensuite adoptés par les presses du nord et de l’est de l’Europe. Ce graveur de génie – il signe parfois en hébreu « Gugliemus ha-Tsarfati » (Guillaume le Français) – contribua à fixer la forme définitive de la lettre hébraïque, surtout du type séfarade. À Amsterdam, Menasseh ben Israël crée en 1626 les « caractères d’Amsterdam » (dits otiyot Amsterdam), qui deviendront la typographie dominante en Europe. La famille Athias – à partir de 1658 – publie des ouvrages prestigieux, dont la Haggadah d’Amsterdam en 1695. Imprimeurs depuis 1704, les Proops éditent de nombreux ouvrages liturgiques, et font d’Amsterdam un centre prépondérant de l’imprimerie hébraïque, rivalisant avec Venise, jusqu’au XIXe siècle, époque où la Pologne et l’Allemagne deviennent les foyers les plus innovateurs et les plus actifs.

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